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16/02/2011

Le poème de la semaine

Pierre Reverdy


Tout est calme

Pendant l'hiver

Au soir quand la lampe s'allume

A travers la fenêtre où on la voit courir

Sur le tapis des mains qui dansent

Une ombre au plafond se balance

On parle plus bas pour finir

Au jardin les arbres sont morts

Le feu brille

Et quelqu'un s'endort

Des lumières contre le mur

Sur la terre une feuille glisse

La nuit c'est le nouveau décor

Des drames sans témoin qui se passent dehors

 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:25 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/02/2011

Andrée Chedid 1c

Andrée Chedid


Je me souviens

D'ombres plus denses que le plomb

De regards impassibles

De rivières fourbues

De maisons rongées

De coeurs blanchis

D'hirondelles torpillées


Et de cette femme hagarde

sous l'explosion des armes


Je me souviens

Du tumulte des sèves

De l'envolée des mots

De plaines sans discorde

Des chemins de clémence

Des regards qui s'éprennent


Et de ces beaux amants

sous les feux du désir


De tout ceci

De tout cela

Je me souviens

Et me souviens

  

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

  

26/01/2011

Le poème de la semaine

Philippe Jaccottet


Jour de janvier,

ouvre un peu plus grands les yeux,

fais durer ton regard encore un peu

et que la rose colore tes joues

ainsi qu'à l'amoureuse.


Ouvre ta porte

un peu plus grande, jour,

afin que nous puissions au moins

rêver que nous passons.

 

Jour, prends pitié.

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

03:09 Écrit par Claude Amstutz dans Philippe Jaccottet, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/01/2011

Le poème de la semaine

Guillaume Apollinaire


 
Si je mourais là-bas sur le front de l'armée

    Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée

    Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt

    Un obus éclatant sur le front de l'armée

    Un bel obus semblable aux mimosas en fleur


    Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace

    Couvrirait de mon sang le monde tout entier

    La mer les monts les vals et l'étoile qui passe

    Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace

    Comme font les fruits d'or autour de Baratier


    Souvenir oublié vivant dans toutes choses

    Je rougirais le bout de tes jolis seins roses

    Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants

    Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses

    Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants


    Le fatal giclement de mon sang sur le monde

    Donnerait au soleil plus de vive clarté

    Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde

    Un amour inouï descendrait sur le monde

    L'amant serait plus fort dans ton corps écarté


    Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie

    - Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie

    De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur -

    Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur

    Et sois la plus heureuse étant la plus jolie


    O mon unique amour et ma grande folie

 

 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

06:26 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/01/2011

Le poème de la semaine

Charles-Ferdinand Ramuz


 

C'est un petit pays qui se cache

parmi ses bois et ses collines;

il est paisible, il va sa vie

sans se presser sous ses noyers;

il a de beaux vergers et de beaux champs de blé,

des champs de trèfle et de luzerne,

roses et jaunes dans les prés,

par grands carrés mal arrangés;

il monte vers les bois, il s'abandonne aux pentes

vers les vallons étroits où coulent des ruisseaux

et, la nuit, leurs musiques d'eau

sont là comme un autre silence.


Son ciel est dans les yeux de ses femmes,

la voix des fontaines dans leurs voix;

on garde de sa terre aux gros souliers 

qu'on a pour s'en aller dans la campagne;

on s'égare aux sentiers qui ne vont nulle part

et d'où le lac paraît, la montagne, les neiges

et le miroitement des vagues;

et, quand on s'en revient, 

le village est blotti, autour de son église,

parmi l'espace d'ombre où hésite et retombe

la cloche inquiète du couvre-feu.

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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02/01/2011

Anna Akhmatova 1b

Anna Akhmatova


La folie déjà de son aile

Recouvre la moitié de mon âme,

Et l'abreuve d'un vin brûlant

Et l'entraîne dans la sombre vallée.


Et j'ai compris, c'est à elle

 Que je dois céder la victoire,

Prêtant l'oreille à mon propre

Délire comme à celui d'un autre.


Et elle ne me laissera

Rien emporter avec moi

(J'aurai beau la supplier,

Et l'accabler de prières):


Ni les yeux terribles de mon fils -

Souffrance devenue pierre, - 

Ni le jour de l'orage,

Ni l'heure du revoir en prison,


Ni la fraîcheur aimée des mains

Ni l'ombre inquiète des tilleuls,

Ni ce bruit ténu, lointain -

Paroles d'ultime consolation.

 

extrait de Requiem, in L'églantier fleurit et autres poèmes (La Dogana, 2010)

10:02 Écrit par Claude Amstutz dans Anna Akhmatova, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/12/2010

Le poème de la semaine

René-Guy Cadou


Je t’attendrai Hélène

A travers les prairies

A travers les matins de gel et de lumière

Sous la peau des vergers

Dans la cage de pierre

Où ton épaule fait son nid

 

Tu es de tous les jours

L’inquiète la dormante.

Sur mes yeux

Tes deux mains sont des barques errantes

A ce front transparent

On reconnaît l’été

Et lorsqu’il suffit de savoir ton passé

Les herbes les gibiers les fleuves me répondent

 

Sans jamais t’avoir jamais vue

Je t’appelais déjà

Chaque feuille en tombant

Me rappelait ton pas

La vague qui s’ouvrait

Recréait ton visage

Et tu étais l’auberge

Aux portes des villages

 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/12/2010

Le poème de la semaine

Deborah Heissler


Garde le silence

tu as longuement parlé


Au-dessus des arbres et des prés,

à l'instant même où cesse la pluie, 

on entend recommencer le chant de la fauvette

à la fois liquide et limpide

- goutte-à-goutte obstiné au coeur des feuilles.

Ostinato.


Et puis

les nuages bas, épais,

leurs trouées mobiles sur la toison des prairies,

jusqu'à l'horizon.

Louange de l'eau et de la lumière,

emportée si vite par le vent.

Versatile, atmosphérique,

l'esquisse de l'air cru et blanc,

dans les plis de l'herbe comme un cantique.

Bonheur d'un instant

à regarder les fleurs éclatantes,

parmi les festons de sombre vigne vierge,

la terre jusqu'à l'horizon

et la crête de la nuit qui s'enflamme.

Les cerisiers ne sont presque plus

que des panaches de neige.


Une autre après-midi se lève lentement en moi.

Chaque jour, chaque heure presque décline,

autant d'appâts nouveaux qui sonnent, 

semblables à des harmonies nouvelles

peut-être bien.


Je me souviens


Le bleu des nues d'orage et celui de la source,

le bleu de la sauge fait pour être froissé dans la main.

L'abandon, le don, cela seul.

Les derniers arbres fleuris dans les jardins.

La pluie de juin qui tombe

comme un chuchotement,

universel,

sur un chemin d'herbe et de violettes mêlées

- et la fraîcheur du soir

qui vous saisit.


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

04:48 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/12/2010

Le poème de la semaine

Jacques Prévert


Rappelle-toi Barbara

Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là

Et tu marchais souriante

Épanouie ravie ruisselante

Sous la pluie

Rappelle-toi Barbara

Il pleuvait sans cesse sur Brest

Et je t'ai croisée rue de Siam

Tu souriais

Et moi je souriais de même

Rappelle-toi Barbara

Toi que je ne connaissais pas

Toi qui ne me connaissais pas

Rappelle-toi

Rappelle-toi quand même ce jour-là

N'oublie pas

Un homme sous un porche s'abritait

Et il a crié ton nom

Barbara

Et tu as couru vers lui sous la pluie

Ruisselante ravie épanouie

Et tu t'es jetée dans ses bras

Rappelle-toi cela Barbara

Et ne m'en veux pas si je te tutoie

Je dis tu à tous ceux que j'aime

Même si je ne les ai vus qu'une seule fois

Je dis tu à tous ceux qui s'aiment

Même si je ne les connais pas

Rappelle-toi Barbara

N'oublie pas

Cette pluie sage et heureuse

Sur ton visage heureux

Sur cette ville heureuse

Cette pluie sur la mer

Sur l'arsenal

Sur le bateau d'Ouessant

Oh Barbara

Quelle connerie la guerre

Qu'es-tu devenue maintenant

Sous cette pluie de fer

De feu d'acier de sang

Et celui qui te serrait dans ses bras

Amoureusement

Est-il mort disparu ou bien encore vivant

Oh Barbara

Il pleut sans cesse sur Brest

Comme il pleuvait avant

Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé

C'est une pluie de deuil terrible et désolée

Ce n'est même plus l'orage

De fer d'acier de sang

Tout simplement des nuages

Qui crèvent comme des chiens

Des chiens qui disparaissent

Au fil de l'eau sur Brest

Et vont pourrir au loin

Au loin très loin de Brest

Dont il ne reste rien.


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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07/12/2010

Le poème de la semaine

Jocelyne François


Toute la lumière du jour

absorbée par la vapeur de la terre, un peu avant le crépuscule.

L'éphémère éclat de quelques buissons d'aubépine

adoucit l'austérité de la colline.


Je t'attends.


Nous irons regarder comment meurt le cerisier,

blanc de fleurs en son centre sur sa couronne de bois sec,

là où le vallon se resserre entre les roches,

où le chant des oiseaux du soir rappelle l'âme à elle.


Au plus près des choses j'ai travaillé de longues heures.

Dans un silence augmenté encore de cette humidité

qui peu à peu mangeait la lumière.

Le strident de la lumière, par degré, s'assourdissait.

Je lavais les carreaux du sol jusqu'aux bords

où ils touchent les pierres des murs.

Je me suis souvenue de la force de l'argile

quand elle cherche à échapper au centrage du tour

et de sa docilité soudain

lorsque la tient l'axe vertical.


Je t'attends.


Quelque chose dans l'air

commence à ressembler au mercure,

le fluide lutte contre l'épais.

Les nuages s'accumulent au nord-est.

Pendant la nuit les portes bougeront sur leurs gonds,

inquiétant mon sommeil privé de ta présence.

Le vent gonflera les rideaux de coton brut

jusqu'à ce que je les tire, à l'aube,

sur un paysage de cumulus bordés de gris sombre

que je regarderai longtemps, couchée,

dérivant avec eux, poussée vers le nord

d'où tu vas revenir. 



Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:21 Écrit par Claude Amstutz dans Jocelyne François, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |